Poèmes d’Iya Kiva : trois poèmes traduits du russe et de l’ukrainien par Talia Lavin, et un poème traduit du russe par Katherine E. Young

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désormais la vie est toute en poêles volées

en vêtements rapés             en peaux en lambeaux

en murs à la peinture jaunâtre et pelée

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n’avons-nous pas semé             n’avons-nous pas bêché

n’avons-nous pas assassiné             les assassins

et pourtant regarde ce qu’ils ont fait autour de nous

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à perte de vue la saloperie

nous tombons et ça ne fait pas mal

nous hurlons peut-être juste un peu

et nous oublions où nous vivions

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et si nous nous croisons, Vanechka, dans l’au-delà

ta chemise rouge tu porteras

ta bannière à croix tu brandiras

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(traduit du russe par Talia Lavin, puis de l’anglais par Sabine Huynh)

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j’ai écrit un statut à huit heures

qui va le lire, il est trop tôt

je l’ai supprimé

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j’ai écrit un statut à onze heures et demie

cinquante-trois likes

trois commentaires

aucun partage

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j’ai écrit un statut à deux heures de l’après-midi

pour attirer l’attention

j’ai ajouté une photo

soixante-treize likes

six partages

dieu sauve les chatons

et les gens avec des appareils photo

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j’ai écrit un statut à quatre heures dix-huit de l’après-midi

trois-cent-deux likes

faut croire que ma blague était bonne

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j’ai écrit un statut à dix heures cinquante du soir

ajouté une vidéo avec une symphonie de Bach

pour leur montrer à tous combien je suis cultivée

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à minuit moins cinq j’ai insulté Poutine

ce que ça a déclenché

j’en ferai le compte plus tard

*

(traduit du russe par Talia Lavin, puis de l’anglais par Sabine Huynh)

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tu te tiens au milieu d’une ville qui t’est complètement étrangère

au milieu de son plus célèbre cimetière

tu lis les inscriptions en polonais

tu perçois le brouhaha des touristes polonais

tombe tombe tombe

ils cherchent la mort de quelqu’un en polonais

tu cherches la mort de quelqu’un en ukrainien

tes parents auraient pu être enterrés ici

s’ils n’avaient pas été contraints à devenir des échos

errant dans le Donbas à la recherche de la mort de Russes

de sorte qu’au même moment de l’autre côté de l’Ukraine

une fille aux longs cheveux noirs

remuait les lèvres en traduisant le langage de la mort

et en fouillant le cimetière à la recherche de sa patrie

*

(traduit de l’ukrainien par Talia Lavin, puis de l’anglais par Sabine Huynh)

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L’année de l’Ukraine

tu vois, nous avons eu ce que nous voulions

maintenant le graffiti de Serhiy Nigoyan sur le mur

de la place d’en face où les enfants jouent à la guerre

à Donbas les adultes s’amusent aussi

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une place apparaît sur Google Maps une autre place

c’est une maison c’est un garçon un fusil dans les mains

s’ils lui disent de tirer il tirera sûrement

n… ta mère notre patrie commune

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au magasin les gens bourrent leurs sacs de macaronis

puis ils enterrent les boîtes quelque part

c’est quoi ce truc qui descend lentement la pente là-bas

c’est ton cercueil porté par les forces de sécurité

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nous étions ici tu diras non nous n’y avons pas été

quelqu’un d’autre a été descendu ici par un sniper

et la neige a cloué sur place ceux qui sont venus après sur terre

l’été du seigneur est fini il n’a pas suffi

*

(traduit du russe par Katherine E. Young, puis de l’anglais par Sabine Huynh)

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Les poèmes en anglais ont été publiés sur le blog The Sword and the Sandwich et dans la revue Los Angeles Review of Books.

Née à Donetsk en 1984, la poète Iya Kiva s’est réfugiée à Kiev après le déferlement de violence dans cette région en 2014. Aujourd’hui, elle est à nouveau confrontée à la guerre. Iya Kiva écrit en russe et en ukrainien. Elle traduit des poètes ukrainiens contemporains en russe (Serhiy Zhadan, Oleh Kotsarev, Yulia Stakhivska, Olena Huseinova, etc.), et la poésie de Yuliya Tsimafeyeva du biélorusse à l’ukrainien. Comme le dit Talia Lavin, « le fait que les Ukrainiens parlent à la fois le russe et l’ukrainien, ou un mélange des deux, un dialecte appelé le « surzhik » (mélange du blé et de l’ivraie après la moisson), met à mal le mensonge répandu par Poutine au sujet d’un génocide naissant des russophones en Ukraine ; non seulement les deux langues ne sont pas ennemies, mais en plus elles coexistent, chez la même poète, au sein du même poème et sur la même page. » (Talia Lavin, « Life in Stolen Skillets: Wartime Poetry from Ukraine », The Sword and the Sandwich, March 4, 2022).

Tel Aviv, 7 mars 2022

Lire aussi : Poèmes traduits de l’ukrainien et du russe par Ilya Kaminsky et Katie Farris

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