Les Grottes – Excavating Insanity, de Joanna Dunis

Comme son titre l’indique, les poèmes de ce recueil sont des grottes, des cavités creusées de main de femme.

mais vaches noires finalement taureaux

ils ruent

je n’ai pas

Et le langage s’arrête là


Les Grottes Excavating Insanity, de Joanna Dunis (Le Castor Astral, octobre 2025.)

Joanna Dunis a gravé sur leurs parois sa transcription d’images cryptées qui se sont formées dans les sédiments qu’ont laissé « l’événement / qui surgit unannounced ». Des questions restées sans réponse, des mots à la fois vagues et évocateurs comme le « cauchemar », « l’horreur », jouent les figurants d’une fissure brutale dans le réel survenue un 16 novembre à Londres et que, peinant à nommer (« j’ai dit mon accident comme on dirait mon amant », « la folie est un réel trop vif », « ce frisson-là », « la peur la terreur elle ne se dit pas », « l’interstice des images »), Joanna Dunis tente de cerner au plus près en allant d’une langue à l’autre et en les alliant : l’anglais, la langue de l’autre ; le français, la sienne ; et la poésie, la sienne propre.

La poésie autobiographique de Joanna Dunis est une langue flippante, échevelée, et parfois un rien cocasse et tarabiscotée, une langue à la fois originale et exigeante dont la rigueur « [d]es cahiers et [d]es livres » se dresse contre l’irrationnel d’un acte impensable qui a planté une lame dure dans le dos d’une femme, le glaçant à jamais et causant « la chute infinie d’un funambule sans filet », qui mène de l’autre côté du miroir, ainsi que la « peur de soi-même / quand on croyait se connaître », car qui des deux est le plus « fou », l’agresseur ou l’agressé ? Subir la folie de l’autre, n’est-ce pas la recueillir ? Au fond du trou, le fou, c’est soi.

Un dos dans lequel du métal insensible a été greffé peut-il tout porter désormais ? — puisque personne n’a entendu les implorations, le « chœur d’agonies silencieuses », « gargouillant de ne pouvoir dire ». De droit il devient concave, et les épreuves de la vie ne glissent plus dessus mais s’accumulent, pèsent, étouffent, le font ployer, le lézardent un peu plus chaque jour. Que peut porter de plus un corps lourd de meurtrissures et dont « [le] passé veut [l]a peau » ?

Peut-être la tendresse, acceptée et prodiguée : le baume magique qui pourrait éclairer « la grotte assombrie » et transformer peu à peu la dépression en « antre », pour accueillir le souffle de l’autre, « d’une langue l’autre ». « Chercher la douceur, la nourrir / même si tout la fait taire », « sauver sa peau », dans des bras qui ont besoin des siens : donner et recevoir, recevoir et donner, mais avec bonté, avec ampleur, pour redonner vie au dos figé par les sédiments de la peur et de la douleur, fruits de la haine encaissée en ce « 16 novembre il y a seize ans ». L’acte violent aurait pu être mortel, or il ne l’a pas été, fatal, fatidique, ce que la poésie de Joanna Dunis « fuit », « dans un cri qui dit non ».   

« Alors écrire », « écrire la déchirure », dit celle dont les vers s’allègent peu à peu, pour parler d’« extase », d’oiseaux, d’ouverture, de vent, de rêves, de plages, de mer, d’« orage de joie », de rire et de « se remplir d’immense » et de tout ce qui peut repousser hier tout au fond de la « tourbière » : détacher hier, l’arracher du moment présent, le rendre enfin différent de ce qui peut (enfin) être, aujourd’hui et demain : « tout était encore présent / et le futur déjà partout ».

Les Grottes Excavating Insanity, c’est l’écriture comme une « sortie d’Égypte dans un désert sans passé », qui passe par la traduction, aussi affolante soit-elle, des souvenirs et des signes, pour tenter de comprendre ce qui s’est passé, afin de mieux s’en détacher : « Se retourner – vive ! »

Joanna Dunis est aussi l’autrice du recueil Topologies – Contes d’Athènes, également recensé dans Presque dire.

(Sabine Huynh, 28 octobre 2025)

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