Par les chemins sublimes, d’Adeline Baldacchino, et Cet au-delà de l’ombre, de Sabine Péglion

Sabine Péglion, peinture figurant dans son recueil Cet au-delà de l’ombre

Rien ne dure, disent les grandes personnes. Tout passe tout lasse, sauf les glaces, disent les enfants – répètent les enfants, oui, c’est ça, les enfants aiment répéter, car ils connaissent intuitivement les bienfaits de la répétition, qui creuse avec ténacité, avant de déposer une graine, d’où sortira une racine, puis deux, puis trois, suivies d’une tige, de feuilles, de fleurs : tout un livre. Sans les livres, nous ne survivrions pas au monde.

Il y en a deux qui sont sortis durant le terrible hiver 2023 aux éditions L’Ail des ours, deux bijoux que j’offrirais, si je pouvais, à toutes les personnes que je connais qui sont âgées de 7 à 177 ans (je compte sur vous pour le faire). Il s’agit des recueils de poèmes Par les chemins sublimes, d’Adeline Baldacchino, et Cet au-delà de l’ombre, de Sabine Péglion. Le premier est sorti dans la collection Graine d’ours, la collection de poésie destinée « à la jeunesse (et pas seulement) », et le second dans la collection Grand ours, qui comme son nom l’indique, s’adresse aux fumeurs et fumeuses de pipe chaussés de grosses lunettes, mais franchement, moi la « vieille » de cinquante-et-un balais j’ai autant aimé Par les chemins sublimes que ma fille de douze ans a aimé Cet au-delà de l’ombre, et vice-versa bien sûr, car les deux recueils, placés sous le signe de la répétition, traitent de la même matière :

la vie comme on l’aime, l’amour comme on le donne, le don comme on le reçoit, l’accueil respectueux et confiant de l’hôte à qui l’on ouvre notre porte et notre cœur… et le leg prodigieux de toute cette sagesse que les mots éclairent.

Adeline Baldacchino est aussi férue d’épanadiplose, cette figure de style basée sur la répétition, à laquelle elle a recours dans Par les chemins sublimes, faisant de son texte exquis une ronde de septains dont la raison d’être est « de te donner la joie », en rappelant « la perle de nacre / de l’instant qui s’étonne », « la flamme qui brûle encore / dans le verre brisé » et « l’odeur de vivre ». Répéter, « Comme on caresse / on renaît / comme on embrasse / on survit », car répéter c’est ressusciter. Écrire aussi.

Cet hiver, j’ai lu et relu la vingtaine de poèmes de Par les chemins sublimes et je me suis accrochée aux mots d’Adeline Baldacchino comme les saxifrages exposées au vent s’accrochent à la paroi rocheuse au-dessus du précipice : « des saxifrages / qui percent la terre / ce qui veut dire que la vie continue / même ou peut-être surtout / quand tout semblera perdu ».

Pareillement, avec son recueil Cet au-delà de l’ombre, Sabine Péglion, « paume ouvertes offertes », « insiste résiste dépose ». Ses poèmes m’ont menée sur des chemins plus lumineux et sereins que celui sur lesquel un quotidien me dépassant m’avait violemment poussée, car tout comme Adeline Baldacchino, Sabine Péglion sait que « rien n’a disparu » pour qui est « porté par cette ardeur / qui transformait le monde ».

Mais contrairement à Adeline Baldacchino, qui dédie son texte à son bambin, Sabine Péglion s’adresse à la fois aux vivants et aux êtres qui l’attendent dans « cet au-delà de l’ombre », « cet éblouissement pourpre », et dont la voix et le sourire, qui « accueille / désormais le silence », lui manquent de plus en plus.

« Tu n’as plus besoin de mots », répète Sabine Péglion, dont les peintures et leurs éboulis de racines et de branches noires sur fond de flammes font écho aux cascades de vers libres lucides qui « s’attache[nt] à transcrire / ce qu’on ne sait retenir » (« des sonnailles », dit-elle). « Mais l’ombre se détache », « la lumière éclate », et l’au-delà dépeint par la poète se présente telle une aube incandescente, éblouissante. 

Je vais vous révéler quelque chose au sujet du titre de ce recueil : fin janvier, j’ai commencé à lire Cet au-delà de l’ombre, j’avais écrit à Sabine Péglion pour le lui dire et, dans notre correspondance, elle a, sans s’en apercevoir, appelé son livre « Cet au-delà de l’aube ».  

Par les chemins sublimes et Cet au-delà de l’ombre, livres de vie, se donnent la main dans « la magie des premiers pas » (Adeline Baldacchino) et « la transparence du soir » (Sabine Péglion).

Par les chemins sublimes, poèmes d’Adeline Baldacchino, avec de merveilleuses peintures, douces et paisibles, de Valérie Linder. Éditions L’Ail des ours, collection Graines d’ours, novembre 2023.

Cet au-delà de l’ombre, poèmes de Sabine Péglion, avec de magnifiques peintures, expressives et bouleversantes, de Sabine Péglion. Éditions L’Ail des ours, collection Grand Ours, décembre 2023.

(Sabine Huynh, 16 juin 2024)

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