
Ce livre, édité par Les Lieux-Dits (collection Duo, 2024) a été composé à quatre mains, comme on dit, et davantage en fait, puisqu’en plus de celles des poètes Isabelle Lévesque et Sabine Dewulf, celles de l’artiste peintre Caroline François-Rubino ont également plongé dans la pâte. Le résultat n’en est que plus étonnant, l’expérience sensorielle riche et profonde, et le tout totalement affranchi de l’ego.
« Nous fleurirons ensemble », dit ce texte né d’une conversation à trois voix, les deux en noir sur blanc d’Isabelle Lévesque et Sabine Dewulf donc, et la troisième en couleurs, portée par les pinceaux de Caroline François-Rubino. Un mot sur les peintures, magnifiques, élégantes, que l’artiste offre dans Magie renversée : elles m’ont fait penser au travail de peintres que j’aime beaucoup, notamment Gustav Klimt (des affiches de ses peintures ornaient les chambres où j’ai vécu en Angleterre durant la vingtaine) et Mary Cassatt (dont je n’oublierai jamais la rétrospective au musée des beaux arts de Boston, je crois que c’était en 1999), mais il faut aussi mentionner Claude Monet, et les peintres japonais du mouvement ukiyo-e, dont Hokusai et Hiroshige, et je pense que Caroline François-Rubino ne renierait pas leur influence. (Qu’elle me pardonne pour les deux photos ci-dessous qui ne rendent rien de la splendeur de son travail.)

Il est question dans Magie renversée de mots sur la page, de signes dans les cieux, de chiffres et de géométrie, de hasard et de probabilités, de partages et de rapports, de divin et de fables. On y rencontre des astres, une reine et un chevalier, un bourreau et des spectres, une alouette, des linottes (tiens cela faisait longtemps que je n’en avais pas croisé), un bleuet, un coquelicot (qui « n’est jamais seul »), une pierre blanche, et bien sûr un miroir, et la Lune qui veille au-dessus. On y boit des potions, des élixirs, de la passion, et des récits contenus dans des fleurs. On y emprunte, comme le Petit Poucet, des chemins de forêt, où croissent des ormes régénérants et des hêtres immémoriaux. On s’y baigne aussi, au sein de paysages impressionnistes ponctués de gouttes de pluie, où des lèvres s’abreuvent de soleil, des broussailles s’embrasent, des étangs se moirent sous un ciel d’été, des branches se prennent pour des plumes gisant dans la neige, des aubes ou des crépuscules s’animent grâce aux danses d’herbes folles, où tout est tellement lumineux, végétal, aquatique, mouvant… « L’éden » ? Certainement la peinture (ma préférée) qui ouvre la septième partie du livre en est un, vibrant dans la tempête, qui est une recherche de sens.

Et toute cette beauté, de signes, de formes, crée une langue étrange et étrangère propre à Magie renversée, que l’on pourrait qualifier d’œuvre mystique, mystérieuse, passionnée, osée : oui, il fallait vraiment oser composer et publier un tel ouvrage, tellement singulier et libre, une création comme « la Terre / lourde d’énigmes », qui enchante sans dévoiler ses secrets.
Tant que l’âpre secret
ne nous est pas révélé,
le livre n’est pas fermé.
Magie renversée, d’Isabelle Lévesque, Sabine Dewulf et Caroline François-Rubino. Éditions Les Lieux-Dits, collection Duo, 2024.


Pour terminer, Magie renversée m’a rappelé ce livre merveilleux d’Italo Calvino, Forêt, racine, labyrinthe (traduit par Paul Fournel et Jacques Roubaud, illustré par Bruno Mallart), qui captive ma fille depuis qu’elle est petite, justement parce qu’elle « n’y comprend rien ». Ni la magie ni la poésie ne sont des affaires de compréhension, elles sont des affaires de cœur.
(Sabine Huynh, 21 juin 2024)
*
*
Pour lire d’autres notes de lecture, rendez-vous ici.