Des femmes, des hommes, à défaut de savoir voler, marchent dans ces pages, « dans [leur] oubli », vers des finisterres, des fins de terre, où au bout il y a la mer. La mer, c’est quand on ne peut pas aller plus loin, enfin, cela dépend qui lui fait face. Elle calme les ardeurs de certains, et réveille celles des plus tourmentés. Quiconque a erré pendant très longtemps reconnaît immédiatement ce chant du large qui s’élève du recueil Alouette (éditions Obsidiane/Le Manteau & la Lyre, 2023) de Mérédith Le Dez ; « la mer, la mer toujours recommencée » de Paul Valery, que d’ailleurs elle cite.
Alouette s’ouvre sur « des fantômes » qui « cavalent toutes les nuits / sur les murs de ma maison / et de ma mémoire / ils cravachent la clôture ». Dans les vers de ce livre, on est « vagabond », « de passage », ou « déjà parti », ou alors peut-être qu’on n’« existe même pas », on ne sait pas. On ne sait rien, sinon qu’il y a eu des guerres et des bombes et qu’on se situe « après les mois noirs » – les mois d’automne en Bretagne : « Miz du miz kerzu », précise Mérédith Le Dez, novembre et décembre, en breton. On ignore tout, on n’a rien, « rien à nous dire ». Une seule chose est sûre cependant : on sait qu’il faut faire avec le peu qu’on a, écrire avec, façonner avec, pour pouvoir repartir vers la lumière. « Il faut aller », insiste Mérédith Le Dez dans le dernier poème.
Comme avec la fameuse sculpture de Giacometti, chercher à rendre l’Homme qui marche plus réel en retirant de la matière serait le condamner à la disparition, alors on travaille la forme ténue en l’étirant, et on parvient à l’allonger, à l’élever, hors des limites, et comme l’alouette, plus la forme s’élève vers le ciel, plus elle est vraie et mieux elle chante : « car il y avait d’autres mots / mais ceux-là seuls / que je rapporte aujourd’hui / je les tiens / pour vrais » ; et ils forment des phrases qui sont les branches de cet arbre invisible qui pousse en nous et nous guide (nous « cornaque », car ne sommes-nous point des animaux ?).
Le texte de Mérédith Le Dez court et coule comme une comptine joyeuse dont les répétitions scandent la langue limpide. La poète ne cesse de louer cet élan vertical : « Maintenant la phrase / se déplace dans l’air bleu / comme une aile d’alouette ». Puis, plus loin : « Elle s’est allégée / pure simplement », « la flèche bleue / d’un oiseau », « une voix montait ». Forme élémentaire.
Alouette c’est, je crois, la « profonde joie », d’écrire un poème, de « se raconte[r] / à soi-même une histoire », d’inventer, de mentir pour soi-même, de délivrer des « sésame[s] », de se mouvoir, « fai[re] transhumance / entre ciel et terre », marcher sans visage, ralliant à soi l’universel : « Poésie poésie / qu’as-tu fait de ton visage / la nuit était transfigurée ».
(Sabine Huynh, 3 juillet 2024)
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