Bestiaire (éditions Unes, 2023, magnifiquement traduit par Raluca Maria Hanea et François Heusbourg) est le premier recueil de la poète américaine Donika Kelly. Il a été publié aux États-Unis en 2016 sous le titre de Bestiary par la formidable maison Graywolf Press et a été très remarqué à sa sortie.
Il s’agit, comme son titre l’indique, d’un « bestiaire » en poèmes, rempli d’animaux réels et imaginaires (oiseaux (qui « meurent de chocs traumatiques »), chiens, autruche, chouette, baleine, lion, griffon, phoque, loup-garou, sirène, satyre, centaure, Pégase, serpents, faucon…), des poèmes tristes au cœur en « peine », cœur à la « fenêtre barrée », cœur dur comme un « rocher », cœur « creux », qui touchent à la solitude, à l’inceste, « un père que l’on hait », « pas de mère à qui parler », amnésique (« Zombie, morte vivante, l’ombre d’elle-même »). Des poèmes pleins de questions sans réponses. Les animaux, à la fois physiques et émotionnels, pourraient être vus comme une allégorie du traumatisme qui revient sans cesse perturber la narratrice, sous des formes et des déguisements différents.
Par ailleurs, parce que le moi brisé est composite, et fragmenté par le vécu, Bestiaire accueille aussi des créatures – et des poèmes – hybrides : faites de danger mais aussi d’amour, de désir (lesbien) ; elles reflètent le moi brisé se reconstruisant par le biais de la sexualité, de la poésie et d’une langue onirique, très imagée, sensuelle. Comme le dit l’introduction de Nikky Finney au recueil, Bestiaire est « fait de briques rouges et de coquillages ». Ainsi, en plus d’être relié au corps de la narratrice, ses poèmes se rattachent aussi au paysage et à l’histoire.
La poésie de ce recueil puissant, tissé avec la force et la vulnérabilité de Donika Kelly, résonne, par son mystère, son immédiateté et sa grâce, avec celle d’autres voix publiées chez Unes : Emily Dickinson, Alejandra Pizarnik, Sylvia Plath et Solmaz Sharif, entre autres.
(Sabine Huynh, 19 juin 2024)
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