La semaine perpétuelle est un texte unique en son genre, roman à la fois palimpseste et patchwork, qui peut être lu comme un conte philosophique moderne.
Il y a Salim, hypersensible, obnubilé par les images, les visages et les définitions sur lesquels il tombe sur Internet, où il passe le plus clair de son temps, postant des vidéos et des poèmes qu’il écrit. Il y a sa grande sœur de dix-neuf ans Sara, « déscolarisée », ancienne pyromane, qui vit de ses vidéos de chants sur YouTube. Il y a leur père, ancien ouvrier du bâtiment, traumatisé par les tortures corporelles que lui a infligées sa cousine à laquelle il a été confié l’année de ses huit ans, effrayé à l’idée qu’il pourrait être expulsé de son logement et obnubilé par le nettoyage, qui ne dort plus et qui, au lieu de parler à ses enfants, leur envoie des emails contenant des préceptes numérotés empreints de sagesse et de poésie. Il y a la grand-mère très malade qui entend absolument tout et se meurt lentement chez eux. Il y a aussi les amis de Salim et de Sara, rencontrés « sous des vidéos », dont Jonathan qui se gave de pilules, ainsi que son colocataire pyromane, son cousin pompier, son voisin qui cloue ses sept enfants au mur et les bat, et enfin Catherine l’alcoolique et son enfance brisée qu’elle traîne. Il y a également la mère des enfants, absente depuis si longtemps que ces derniers ne se souviennent même plus de son visage.
Et il y a une myriade d’animaux, d’insectes, de créatures en tous genres, de cellules, de nombres (tout est mesuré par Laura Vazquez, tout sauf le temps, que l’humain découpe en croyant pouvoir le mesurer), de gestes dérangeants et répétitifs, de récits de rêves surréalistes, d’images, belles, ou pertubantes, de pensées et de réflexions martelées, entêtantes, de voix émanant des commentaires sous les vidéos de Salim et de Sara et formant un chœur obsédant et inquiétant, qui peuplent les lignes et les jours de La semaine perpétuelle et sont décrits par Laura Vazquez dans une langue dotée d’une précision clinique.
Un jour, Salim, qui ne va plus à l’école ni ne sort de chez lui depuis quatre ans, ayant été témoin, ou victime, ce n’est pas dit (dissociation ?) de harcèlement très violent au collège, passe enfin du dedans au dehors pour aller enterrer un oiseau mort tombé du plafond qui fuit de la chambre de Jonathan. Salim et Sara décident de partir à la recherche de leur mère.
Tout cela tourne en rond et se répète et se mord la queue. Ce vertige de la vie est raconté avec ténacité et force détails, sur un ton calme, avec des phrases sonores et claires qui donnent des coups de boutoir dans la bien pensance et la bienséance et qui forment le corps inébranlable d’un texte incroyablement puissant sur la vie et la mort, allant de l’origine du monde jusqu’à nos jours, qui sont peut-être le prélude de sa fin, à laquelle les mots et les images de La semaine perpétuelle tentent probablement de faire barrage, mais en lisant ce livre, on sent à quel point leur autrice est pétrie d’inéluctable. C’est du Boris Vian, du Francis Ponge, du Henri Michaux, du Marguerite Duras, du Anne Sexton, du biblique et du mythologique ? Sans doute, et on s’en réjouit, mais c’est surtout du grand, du très grand, Laura Vazquez.
(Sabine Huynh, 22 avril 2023)
Pour lire une note sur le recueil Le livre du large et du long de Laura Vazquez, c’est ici. Et pour lire un article que j’ai écrit pour féliciter Laura Vazquez d’avoir remporté le Goncourt de la poésie, c’est dans la revue Lettres Capitales.
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