Le livre du large et du long, de Laura Vazquez

La note de lecture ci-dessous date du 30 mars 2023. Le 12 mai 2023, Laura Vazquez a gagné le Prix Goncourt de la poésie. La revue Lettres capitales m’a invitée ce même jour à écrire un article sur son travail. J’ai donc remanié, étoffé (et bien amélioré !) ma note bancale, que vous pouvez vous dispenser de lire, en vous rendant directement sur le site de Lettres capitales pour lire mon article : « Les vers-catalyseurs inébranlables de Laura Vazquez : Goncourt de la poésie 2023 ».

Après le troublant, fascinant et remuant La Semaine perpétuelle, Laura Vazquez a de nouveau inventé ses propres règles, et Le Livre du large et du long, son nouvel opus aux éditions du sous-sol, témoigne une fois de plus de la témérité et de la puissante créativité de son autrice, qui scrute le monde, le renverse et prend la mesure de sa complexité, de sa folle étrangeté et parfois de sa brutalité terrassante, de poème en poème, animée par une douceur sauvage et une ardeur tranquille.

Les vers se succèdent, exposant avec précision la beauté/laideur/singularité (elles se confondent dans ce livre) « insupportable » des choses, des êtres et des formes multiples : « Deux images se comprennent lorsqu’on les pose côte à côte », « deux images se suicident quand on les pose côte à côte », « l’objet ne représente pas un objet » (Le Livre du large et du long).

à présent imagine une seule tête pour tous
les êtres du monde
une tête flottante
générale
au-dessus du monde
nous toutes
les vivantes les mortes

la grande tête du monde par-dessus le monde

à chaque fois que tu la regardes
c’est le jour de ta naissance
à chaque fois que tu l’imagines
c’est le jour de ta naissance

Le Livre du large et du long, Laura Vazquez, éditions du sous-sol, 2023

J’ai retrouvé dans Le Livre du large et du long la ferveur et la musique de La Semaine perpétuelle : la poète y creuse tout aussi passionnément et avec autant d’exaltation, au sein d’une « épopée » aventureuse en vers libres remplie de gestes et de philosophie, nos corps amples et torturés – miroirs du monde –, qui tremblent à l’intérieur quand on les interroge, quand on les observe, ce qui ne les empêche pas de n’en faire qu’à leur tête, calmement, méthodiquement – un texte comme une tête ébréchée (à coups de « marteau » et d’ « aiguille »), où résonne une voix ferme et insistante qui détourne allègrement proverbes rances et idées reçues délétères, pour faire exploser les murs de la langue. Le cerveau chauffe, en lisant, en écrivant.

Le Livre du large et du long, Laura Vazquez, éditions du sous-sol, 2023

Les vers-catalyseurs inébranlables de Laura Vazquez sur le rapport du corps au monde désarçonnent, réveillent, ensorcèlent, interrogent, avec leurs paroles foisonnantes se déployant comme de vastes prairies de solitude tranchante peuplées de fleurs opiniâtres aux tiges phrasées. « Toutes seront écoutées », « tous seront écoutés » (Le Livre du large et du long).

une femme avance
et dit

je

Le Livre du large et du long, Laura Vazquez, éditions du sous-sol, 2023

Laura Vazquez est sans conteste la sœur des poètes Anne Sexton, Francis Ponge et Henri Michaux (« je suis née tant trouée », écrit-elle).

(Sabine Huynh, 30 mars 2023)

Pour lire une note sur le roman La semaine perpétuelle de Laura Vazquez, c’est ici. Et pour lire un article que j’ai écrit pour féliciter Laura Vazquez d’avoir remporté le Goncourt de la poésie, c’est dans la revue Lettres Capitales.

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