Sabine Dewulf livre une lecture très riche de l’œuvre de Raymond Farina dans son livre Raymond Farina L’Oiseleur des signes, publié aux éditions des Vanneaux (coll. Présence de la poésie, 2019). Je ne suis pas capable d’en dire grand chose, tellement la monographie est admirable de profondeur, d’intelligence, de précision, de clarté, de sensibilité, sinon qu’il faut absolument la lire. Cet essai de plus d’une centaine de pages ne paraphrase pas le travail de Raymond Farina mais le relie comme il se doit à sa biographie, ainsi qu’aux poètes qui l’accompagnent et l’ont précédé, il l’amplifie, le contextualise, le fait résonner, l’éternalise.
Pour ce qui est des éléments biographiques, je retiens que ce poète manifestement majeur (la plupart de ses livres ont été publiés aux éditions Rougerie, une « valeur sûre » dans l’édition de la poésie, il me semble, comme le sont les éditions Voix d’encre, par exemple), né en Algérie, fou d’oiseaux et de papillons, aime les langues (il en maîtrise pas moins de cinq ou six je crois), a commencé à écrire des poèmes très tôt, dès l’enfance (« Il y eut, avant les mots, venus de plusieurs langues, les lettres et leur fascination. Car ce fut avec elle que commença notre pouvoir – le seul sans doute qui soit innocent et inoffensif –. Un tout petit chaos de lettres avec lequel on fit des mots, dans une intense jubilation, bien avant de faire des mondes. », revue Lieux d’Être, 2001-2002), aime traduire (« C’est seulement avec toi, étranger, / que je peux parler dans ma langue. / Car toi aussi tu viens de loin : / et le nom du pays nous l’avions oublié » – Lalla Romano, dans une traduction de R. Farina, Diérèse, 2016), aime les bestiaires, est un exilé qui a vécu entre autres au Maroc, en Afrique (dont l’âme souffrante est symbolisée dans ses poèmes par un fragile « papillon aux ailes d’un bleu-nuit ourlé de noir »), en Bretagne…
Je retiens également qu’il vit aujourd’hui à la Réunion, a cessé d’écrire pendant dix ans (comment ? pourquoi ?), a écrit un poème intitulé « Ni d’ici ni d’ailleurs », titre qui m’a interpellée (à cause de l’anthologie de poésie Pas d’ici, pas d’ailleurs que j’avais initiée et dirigée, avec le mouvement et l’individualité inscrits dans le mot « pas »).
Maintenant il me tarde de lire la poésie multiforme de ce poète aux yeux grands ouverts sur le monde que me semble être Raymond Farina. Par chance, Raymond Farina L’Oiseleur des signes contient aussi une anthologie d’environ 150 pages des poèmes de Farina, un florilège de ses textes publiés entre autres par les éditions des Vanneaux, Rougerie, Folle Avoine et L’Arbre à Paroles, avec quelques inédits.
Alors attendez-moi je reviens.
Me voici de retour au bout d’une semaine et j’avoue que la dernière fois que j’ai tenu le trésor des poèmes de Raymond Farina entre mes mains ce n’était pas plus tard que cette nuit, à trois heures du matin (merci dame, ou devrais-je dire « damned », insomnie). Lire des textes d’une telle luminosité en pleine nuit a un effet rassérénant incomparable. Luminosité car l’attention que le poète porte au monde dans lequel il vit transparaît pleinement dans son travail : « Sois vraiment / dans tes mots / et qu’ils soient / où tu es » (dans : Ces liens si fragiles). Des mots pénétrés de présence, d’authenticité et de légèreté. Luminosité aussi car sa foi dans l’écriture – et nous lui sommes reconnaissants de la sentir inébranlable – permet à la fois au poète et au lecteur de se relever, de faire face, et c’est dans cette générosité régénératrice transmise par le poème que l’on prend la mesure de la valeur et de la vérité de la parole partagée, du bien qu’elle fait, au monde, tout simplement, et ce n’est pas peu dire. Luminosité enfin par la musique, qui guide manifestement Raymond Farina, un vértitable artisan du vers : poèmes verticaux composés de trisyllabes, d’hexasyllabes, etc., révélant peut-être le goût du poète pour une certaine poésie et philosophie, orientale, chinoise, ou médiévale, épique. Le rythme est ici au service de la limpidité de l’image et de la profondeur de la pensée.
Au vu des nombreux oiseaux et des êtres porteurs d’ailleurs qui la traversent, vivants comme fantômes, les thèmes de prédilection de l’œuvre de cet « oiseleur » plein d’empathie semblent être le voyage, l’exil, la migration, le nomadisme, le partage d’un destin commun malgré les différences, la découverte de l’autre, cœur, oreilles et yeux accueillants : « Quand j’ouvre l’Odyssée / chaque fois je crois lire / comme un journal intime : / le récit précis de ma vie / qu’un autre aurait écrit pour moi » (« L’Odyssée (fragment) », Anachronique, Éditions Rougerie).
Grâce au travail exhaustif de Sabine Dewulf et aux éditions des Vanneaux, on peut désormais appréhender ou redécouvrir la sensibilité exceptionnelle de Raymond Farina dans une poésie dont on peut dire avec certitude qu’elle ne triche pas – elle contient quelque chose de posé, de juste, de pur et de sain dont on ne se lasse pas – et c’est une grande chance car son travail aussi précieux qu’il est discret et humble mérite sans conteste une visibilité accrue.
Finalement, voici un poème que j’ai lu à ma fille de huit ans ce matin et qui lui a beaucoup plu :
JONAS
Jeu dérisoire de celui
– d’une espèce oubliée sans doute –
qui d’un chaos de lettres
continue à faire des mondes
qui désire écrire limpide
comme vient un simple bonjour
comme tinte un matin toscan
& qui dans les ténèbres
du grand poisson biblique
fait clignoter son morse
obstinément – pour qui ? –
Pour quelques enfants que fascinent
d’étranges robots occupés
à pulvériser des planètes
Ou pour le dieu omniscient
qui a tout conçu de travers
& qui cherche à tâtons
dans son fouillis céleste
ses lunettes qu’il a
une fois de plus égarées
Extrait de Anachronique, Éditions Rougerie, cité dans Raymond Farina L’Oiseleur des signes, par Sabine Dewulf, éditions des Vanneaux, coll. Présence de la poésie, 2019. (Sabine Huynh, 29/11/2019)
*
*
Pour lire plus de notes de lecture, rendez-vous ici.