Les vers sont âpres et vivants, et les sensations fortes, dans ces poèmes qui regorgent d’adjectifs, comme si la poète tenait absolument à décrire et à faire voir c l a i r e m e n t quelque chose de ce lieu, comme si elle craignait que ses mots allaient peiner à le saisir : L’Équateur, la ville de Quito, notamment. En temps « normal » je tique en lisant des poèmes dont les béquilles adjectivales sont trop nombreuses, car nous savons, n’est-ce pas, la différence qu’il y a entre écrire « poétiquement » et écrire « de la poésie »… En fait, j’ai tiqué, au début, je me disais que non, cela ne tiendrait pas, que cette foison d’adjectifs « comprimait » trop les images, qu’il s’en dégagerait quelque chose de trop péremptoire, enfermé. Ma lecture en était gênée, je n’arrêtais pas de me dire : « Encore un adjectif »… Puis, et parce que je ne suis pas contre l’emploi des adjectifs en poésie, juste contre leur abondance non justifiée, surtout s’ils ne sont utilisés que pour décrire, je me suis intéressée aux champs lexicaux, aux répétitions, aux thèmes, aux types d’adjectifs, à tout ce que cela cherchait à évoquer chez le lecteur. Ont commencé à se dessiner, grâce à un choix d’adjectifs qui n’étaient pas « recherchés », à dessein j’en suis sûre, un paysage, et un dépaysement, des rencontres imprévues, linguistiquement parlant, une langue inhabituelle donc, quelque chose de lancinant, qui insistait sur l’attente, la solitude, l’inquiétude, la sécheresse, les brûlures, brisures, duretés de la vie, mais aussi sur ses couleurs, malgré tout, qui tranchaient : noir, jaune, brun, clair, opaque, nocturne, pâle, rouge, ocre, bleu, blanc, blond… que la poète a fini par avoir dans la peau, de par son empathie face à des êtres à la fois fragiles et forts que croisaient son regard et sa sensibilité, et à tout ce qui semblait petit, noyé, désert, fendu, froid, triste… Je suis sortie de Signer les souvenirs (éditions Æncrages & Co, 2019) avec un goût d’exil dans la bouche, et c’est peut-être ça, « la poésie ». (Sabine Huynh, 19/09/2019)
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