J’ai lu très lentement Les corps caverneux car il m’a fait beaucoup réfléchir. C’est bien, je crois, un livre qui fait réfléchir à ce qui s’y passe, qui ne se donne pas d’emblée.
Ma lecture de ce livre dense s’est apparentée à une danse, sur une musique dont les temps et le genre changeaient sans crier gare. Parfois petits pas comptés, incertains (et j’avoue qu’au début je n’arrivais pas à la suivre, j’hésitais et m’arrêtais beaucoup, mon corps résistait à cette danse), parfois cavalcade, parfois pas chassés, grands écarts même, puis tango, puis cha cha cha, et même madison (mon père m’a appris les danses de salon quand j’étais enfant, ce qui aujourd’hui compte plus à mon avis que toutes les erreurs qu’il a commises et qui pendant longtemps l’ont discrédité à mes yeux), et valses lentes ou rapides.
Ce texte de Laure Gauthier m’a aussi fait penser à la pluie, à sa façon de vous tomber dessus, de vous surprendre, de vous faire rire et frissonner, de tout vous donner d’un coup, comme si c’était la dernière fois (« besame, besame mucho… »), oui, cette saturation précipitée, qui caresse comme elle cingle comme elle lave comme elle brûle.
Je crois qu’au sein de ce livre, la poésie de Laure Gauthier se déverse comme un souffle liquide, épais, très chaud. Oui, la lire est comme traverser, ou chercher à étreindre, une cascade dont la température est celle du corps humain.
on s’embrassait à la vie à la mort, la mort n’était rien dans l’hiver quand on touchait l’anorak froid et la capuche, les lèvres glacées, on embrassait tous les manques
Laure Gauthier, Les corps caverneux. Lanskine, 2021.
Nous allons à la forêt comme à la vie
en vrac de soi
attendant tout des branches mais
la promenande n’enclenche plus les marionnettes de la pensée, et les arbres restent au bord sans parler, une écume verte où se perdre sans motsLaure Gauthier, Les corps caverneux. Lanskine, 2021.
je marche à la forêt sans nom
(Sabine Huynh, 05/06/2022)
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