Not A Novel, de Jenny Erpenbeck, et Marguerite Duras, de Simona Crippa

Cet hiver très chargé pour moi a été éclairé notamment par ces deux livres, deux joyaux d’intelligence, qui impressionnent par la passion évidente de leurs autrices pour les sujets qu’elles prennent à bras le corps ; deux regards tout à fait lumineux, deux livres édifiants qui m’ont beaucoup appris. J’ai lu d’autres livres excellents en parallèle, sur lesquels j’espère pouvoir vous dire deux mots bientôt.

Le livre de Jenny Erpenbeck (écrivain et directrice d’opéra allemand, née en 1967) est un recueil de courts essais profonds, émouvants et incisifs sur la vie en Allemagne avant et après la réunification, dans lesquels brillent l’amour du prochain, l’humilité et l’attention pour les petites choses du quotidien qui procurent de grandes joies. Not A Novel aborde également des questions douloureuses de l’histoire, concernant le nazisme, bien sûr, mais aussi l’Argentine, la Syrie et le sort injuste des réfugiés en Europe.

Le livre de Simona Crippa (professeur de littérature française) revient sur la genèse, le développement et l’affirmation de la voix de Marguerite Duras en s’attardant sur des aspects de son œuvre (cinématographique et théâtrale) qui, il me semble, même s’ils ne sont pas inconnus du grand public, ont été moins étudiés, ou alors pas de façon aussi exhaustive et accessible, ou alors pas élucidés aussi clairement (et même poétiquement) que l’a fait Simona Crippa, dans un livre dont le petit format et le petit prix (200 p., 10 €) ne préfigurent absolument pas la densité, la richesse et la profondeur d’analyses vivantes qui prennent le soin de toujours fournir le contexte biographique, empêchant ainsi la langue de s’encroûter dans le jargon universitaire. 

L’enfance, l’amour, la passion, mais aussi la politique et l’Histoire, passent par l’écriture pour cette femme qui avoue à Aliette Armel avoir « vécu le réel comme un mythe » (Magazine littéraire juin 1990 : 20). Car la vie est sans cesse modelée par la fiction pour Duras et son récit est toujours au plus près du muthos. Sa parole poétique fragmentaire, qui se construit entre réle et fiction à travers occultations et dévoilements, glissements et assimilations, relève dès lors d’une mythographie, non pas de l’auteure, mais de l’écrit. Événements, témoignages, bribes intimes, réflexions sur l’écriture, forment un tout comme un continuel agencement de signes, comme un éternel retour.

Marguerite Duras, par Simona Crippa. Presses universitaires de Vincennes, 2020.

Ces deux livres sont des ouvrages exceptionnels, exemplaires de clarté, que je vais chérir et vers lesquels je n’aurai de cesse de revenir m’abreuver (j’y ai corné une page sur deux ou trois et souligné maints passages significatifs).

Not A Novel, A Memoir in Pieces, by Jenny Erpenbeck (translated by Kurt Beals). New Directions, 2019.

Marguerite Duras, par Simona Crippa. Presses universitaires de Vincennes, 2020. Lire, dans le magazine Diacritik, l’article fouillé de Jean-Philippe Cazier sur l’ouvrage : “Simona Crippa : Mythologies de Marguerite Duras” et le grand entretien mené par Johan Faerber : « Simona Crippa : « La parole des femmes dérange toujours quand elle sort de la sphère privée » (Marguerite Duras)« .

(Sabine Huynh, Tel Aviv, 15/12/2020)

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Je partage aussi mes pensées sur des livres que j’ai lus ici.

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