La mer et l’enfant
roman
Editions Galaade, 2013
La Mer et l’enfant de Sabine Huynh
Écrire peut-il combler le vide absolu ? La Mer et l’enfant, premier roman de Sabine Huynh, adopte la forme d’un cahier intime que scandent dix-huit jours non datés. La question du temps y est cruciale, en effet. Magda, la narratrice, se trouve dépossédée de son passé, de son présent et de son avenir. Héritière d’une histoire familiale tragique, elle porte comme un fardeau le prénom de sa grand-mère gazée à Auschwitz ; enfant rejetée par sa mère, elle se sent incapable d’instiller de l’amour dans la relation qu’elle entretient avec sa fille. Privée ensuite de cette enfant, qu’elle a abandonnée sur une plage déserte alors qu’elle-même s’enfonçait dans les flots, elle tente désespérément d’ouvrir une brèche dans le mur de l’absence par les mots déposés sur le papier. Texte poétique, serré et désespéré, ce beau roman nous immerge dans un réseau d’émotions violentes : et si la page blanche était le seul espace de liberté, si la vie n’était possible qu’à travers l’écriture qui permet d’inventer et de se réinventer ? Anne-Françoise Kavauvea, La Page des libraires
La faute des mères
Certains livres happent et avalent leurs lecteurs, d’autres leur sautent à la figure, dans tous les cas ce sont des livres dangereux, qui laissent un sillon brûlant dans la mémoire.
La Mer et l’Enfant est de ceux-là. Quand on l’a commencé, on ne le lâche pas, on est tenu entre ses pages, tiré jusqu’à sa fin, inéluctablement. Un roman policier sans police, avec peut-être un meurtre et une enquête sans enquêteur, sans détective. L’enquêteur est l’auteur, les indices qu’elle rassemble et qu’elle scrute ne sont pas matériels mais d’un autre ordre : psychologiques et mémoriels.
À la fin du roman, on n’en sait guère plus long, on flotte entre plusieurs possibles, on n’est pas sûr d’avoir compris. La narratrice n’a-t-elle pas tout imaginé ? « Je ne me souviens de rien, en réalité j’invente tout. Fantasmes d’écriture, écriture du fantasme, je n’en sais rien. » Et pourtant, pour être aussi prenant, aussi terriblement présent, il faut que le récit plonge ses racines dans une vérité, dans des événements vécus, et conservés par la mémoire.
Le roman, ou plutôt, comme l’appelle son auteur, le « monologue fictionnel », se présente comme un journal, une lettre qu’une mère rédige pour sa fille qu’elle n’a pas vue depuis trente ans. Les chapitres correspondent à certains jours de la semaine, pendant un mois. Le texte est réparti en paragraphes brefs qui semblent progresser, faire avancer la narration. En fin de compte, il n’en est rien.
Parole de folle ? Parole de mère ? La tradition veut que ce soit l’enfant qui rejette la mère, il a toujours de bonnes raisons pour ça, depuis l’avènement de la psychanalyse. L’inverse, c’est-à-dire une mère qui n’aime pas son enfant, donne rarement lieu à autre chose qu’à des rapports de la police, de l’assistance sociale. C’est un sujet tabou, une mère doit aimer son enfant, c’est dans l’ordre des choses, c’est inné. Et le contraire, tout simplement, doit être ignoré et balayé comme un déchet qu’on met à la poubelle. Sabine Huynh ne craint pas d’affronter le tabou.
Nous sommes donc en présence d’un livre qu’une fille rédige sur sa mère, qui pense-t-elle, l’a haïe. Mais elle, elle écrit sans haine. Elle ne cherche qu’à comprendre. Le livre est très violent, il est aussi très généreux puisqu’il répond au non-amour par une tentative de découverte de soi, de l’autre. On pense à Sylvia Plath, qui est d’ailleurs citée car on retrouve des éléments biographiques de La Cloche de détresse. Mêmes passages par les soins psychiatriques et par les électrochocs. Même tentative de suicide dans la mer. Et même fin tragique. En outre, un personnage se nomme Ariel.
La fille, donc, imagine que sa mère lui écrit. Elle se met à sa place, elle lui prête sa plume, ce qui est très troublant. Elle se voit à travers le regard et les mots de sa mère. Elle explique la haine dont elle aurait été l’objet par la disparition du père, par le fait qu’un enfant empêche de vivre pour soi, ramène à un destin commun, celui de toute mère ; par l’ascendance juive et les drames qui s’ensuivent. « Un jour un enfant apparaît et une femme commence à disparaître… elle est obligée de refuser, d’expulser, de rejeter. »
Est-ce la fille écrivant sur sa mère qui s’exprime ? « Si je te crée dans ces lignes, je te donne ma voix. Je me demande si ta voix ressemble à la mienne. » Est-ce la mère écrivant à sa fille ? Les frontières s’estompent, je suis toi et une autre. Je suis faite de toi et aussi de tous ceux qui nous ont précédés. « J’étais prise dans les filets de ce tissage d’origine, de pays, de langue, de traits à la fois trop familiers et méconnaissables. » Alors, qui parle ?
La fille ne peut pas ne pas se reconnaître dans cette mère. Ni nous ne pas nous reconnaître dans cette fille qui écrit sur sa mère. Souffrance et culpabilité de l’enfantement. La fille qui a subi l’intolérable sera mère à son tour. Et quelle sorte de mère ?
Le récit s’organise (ou ne s’organise pas, tant il semble jaillir) autour d’un meurtre qu’on redoute mais qui n’aura pas lieu, n’a pas eu lieu, autour d’une journée dans une bourgade en bord de mer. « Ce jour-là, il y a plus de trente ans, le jour de ton premier anniversaire, je t’ai mouché le nez et l’ai enduit de crème solaire. » On n’en saura pas plus. Sinon que la petite restera sur le sable, comme oubliée, abandonnée, refusée par la mer et sa mère.
Celle-ci nous abandonne également, nous les lecteurs, aux prises avec les situations qu’elle n’a pas éclaircies (comment le pourrait-elle ?), avec des interrogations qui deviennent les nôtres.
C’est un premier roman. Et il promet !
Ajoutons que l’auteur, Sabine Huynh, est aussi un poète. Elle publiera ces temps prochains (en octobre 2013) chez Voix d’encre Les Colibris à reculons. Elle est co-auteur (avec Andrée Lacelle, Angèle Paoli, Aurélie Tournaire) de l’anthologie Pas d’ici pas d’ailleurs, qui rassemble un grand nombre de voix féminines du monde entier (également chez Voix d’encre). Née au Vietnam en 1972, elle a passé son enfance en France et vit actuellement à Tel-Aviv. Déjà tout un destin.
Marie Etienne – La Quinzaine littéraire
Sabine Huynh – La mer et l’enfant
On entre dans ce petit livre sans guère de prudence ; sa couverture, son titre, charrient un je ne sais quoi d’un peu attendu : aussi ne s’attend-on finalement à rien, ce qui est bien la meilleure façon d’entamer une lecture. Puis on découvre les premières pages, leur écriture délibérément banale, sans arêtes ni dissonances, rien qui n’accroche vraiment à l’oreille ; c’est encore le temps de l’attente, l’auteur ne fait pas dans la tonitruance. Mais une petite tension s’esquisse, une lointaine odeur de désamour, de culpabilité, de paranoïa, alors on commence à s’intriguer, on se met à jouer le jeu de ce journal intime, de cette vraie-fausse lettre d’une mère à sa fille dont elle est sans nouvelles depuis trente ans – cette enfant qu’elle demeure à sa mémoire, et dont elle dit qu’elle est « sa peau de chagrin« . Quelques pages plus loin, ce mot : « Un jour, un enfant apparaît, et une femme commence à disparaître. » A partir de là, et même s’il me manque un peu de pouvoir identifier une écriture, je commence à comprendre : l’auteur écarte tout effet pour ne conserver qu’un rythme : celui d’une voix, d’un esprit qui fonctionne en saccades, d’une âme qui cherche son oxygène.
Sabine Huynh, plus aguerrie comme poète – La mer et l’enfant est son premier roman -, ne fait pas seulement le portrait d’une femme que la vie aurait rendue effroyablement amère – peut-être démente, comme elle semble finir par l’admettre -, mais renvoie aussi de la femme une image singulièrement différente de ce que l’époque nous donne à voir et à glorifier : ici, pas de maternalisme gnangnan, pas d’exaltation devant la pureté enfantine, pas de manifestation d’amour attendri devant les gazouillis baveux du petit d’homme, aucun hommage à l’instinct maternel ou parental, rien que des mots qui cherchent à dire la détresse et le sentiment de déréliction d’une femme pour qui aimer un enfant, fût-ce le sien propre, n’a rien de naturel. Le propos n’a rigoureusement rien d’engagé, et il ne s’agit pas, pour Huynh, de renverser le schéma des valeurs dominantes, mais on ne peut la lire toutefois sans songer à ce que, entre les lignes, ou subrepticement, elle met en question. Aimer, ne pas aimer : voilà qui ne devrait donner lieu à aucune incartade idéologique, et ce récit – je dis récit plutôt que roman, tant on peut y entendre des échos intimes – constitue aussi une manière, fût-elle involontaire, donc, de dénoncer la survalorisation de la mère dans la femme. Car ce que nous dit, plutôt ce que nous crie, ce personnage, c’est aussi que la naissance de la mère débouche trop souvent sur la mort de la femme. Cette sensation, ce sentiment, s’imposent avec tellement de souveraineté à ce personnage scindé, harassé, débouté de sa maîtrise, qu’il en résonne d’accents dont un certain conservatisme ne manquera de s’émouvoir. C’est qu’à la femme d’hier encore, luttant pour son droit à ne pas enfanter et à être reconnue comme personne avant de l’être comme génitrice, tend aujourd’hui à se substituer l’image d’une femme qui ne le deviendrait pleinement qu’en enfantant. Rien de tout cela ici, seulement le désarroi, autrement plus consistant, autrement plus juste et troublant, de celle qui, du jour où elle enfanta, se sentit dépossédée de son destin. La sensibilité de Sabine Huynh la conduit à ne rien écrire de définitif, elle ne prend pas le lecteur par la main, ne lui montre aucune direction, ne fait que donner un décor au chagrin et suggérer l’oppressante proximité du drame ; ce faisant, elle nous laisse dans une expectative aussi riche que douloureuse : et si aimer son enfant, c’était aussi lutter contre ce qui pourrait nous le faire désaimer ?
La mer blessée de Sabine Huynh
Traductrice et poète d’origine vietnamienne installée depuis une quinzaine d’années à Tel Aviv, Sabine Huynh signe, avec La mer et l’enfant, son premier roman. Un roman où seul le souffle d’une mémoire éreintée, déchirée, tient lieu de fil narrateur et qui joue tout à la fois avec les codes du récit, du journal et de la missive. Mais le jeu n’est pas ici un art formel de la construction : l’écriture de Sabine Huynh, dans la parole de sa narratrice, semble au contraire portée par une certaine forme d’immédiateté, d’empressement à dire. Une écriture que traverse un effet d’urgence. S’il y a du jeu dans son texte, il faut plutôt l’entendre comme l’on dit d’une porte qu’elle a du jeu, qu’elle vacille sur ses gonds. Car dans le même mouvement qui la pousse à l’aveu, à la révélation, cette parole témoigne avant tout d’une série d’ébranlements et d’une perte de repères. La frontière est mince entre se raconter et s’inventer, se connaître et se méconnaître, entre se sauver et se perdre. Mince aussi la frontière entre soi-même et tout ce qui nous traverse, nous enferre, nous opacifie et pulvérise la possibilité même d’être soi : le nom, les fossiles de la souffrance, le passé familial, le regard glacé ou aimant des autres… tout concourt à faire du plus léger de nos gestes de simples passes d’héritier.Au cœur de La mer et l’enfant, placé dès l’exergue sous des auspices durassiennes, il y a l’histoire d’un désamour maternel. L’histoire d’une femme, Magda, et de l’enfant qu’elle n’a pas voulu, pas aimé, qu’elle a peut-être abandonné, tué ou laissé mourir. Histoire d’un désamour lui-même reproduit. Mais il y a surtout l’histoire d’une dérive solitaire et d’une identité qui pour n’avoir pas su se trouver, finit par se dissoudre et se disloquer. On pourra enfin y lire une dernière histoire, celle d’une écriture en marche, miracle bref et fragile qui seul parvient parfois à exaucer ce vœu que tout le reste et tous les autres vous refusent.Avec l’apostrophe qui ouvre le roman, La mer et l’enfant pourrait un peu faire écho au très beau livre de Linda Lê : Lettre à l’enfant que je n’aurai pas. Mais l’absence se joue autrement, car c’est ici une lettre à l’enfant qu’elle n’a pas aimé, qu’entreprend la narratrice. Ce qui est d’abord déclaré c’est cet étrange malentendu qui a placé la mère à côté de sa maternité. L’avènement fut un non-événement, un contretemps. Quelque chose n’a pas eu lieu, un amour n’a pas eu prise.«L’enfant. C’est ainsi que je parlais de toi, pensais à toi, regardais vers toi : l’enfant – pas mon enfant, juste l’enfant.»Et c’est pourtant ce décrochage, cette maternité non éprouvée qui appelle l’écriture, comme un gouffre qui susciterait un appel d’air : «Je lève le stylo, j’ouvre la bouche, ma pensée se tend vers toi, vers le vide de ton absence».Cette absence de sentiment maternel, qui aurait pu faire l’objet d’un traitement psychologique resserré, devient sous la plume de Sabine Huynh le motif d’une absence plus large, l’écho d’un vide plus profond. Le désamour pour l’enfant renvoie à une existence vécue dès le début comme un rendez-vous manqué avec soi-même.«Sais-tu ce que c’est que de n’avoir jamais rien compris à sa vie ? Je crois que j’ai été prisonnière de la mienne. Je n’y ai jamais été chez moi, à l’aise. Ni dans ma vie, ni dans ma peau, la peau de ce corps. Elle me tire, j’y ai toujours été à l’étroit, ils se sont trompés de taille.»Le texte va ainsi peu à peu se décentrer de ce motif premier et matriciel et, comme inséminé par lui, s’élargir en cercles concentriques, appeler d’autres strates de la mémoire, d’autres fragments de récit, d’autres histoires et d’autres événements. La destinataire s’estompe peu à peu – pour réapparaître parfois. Et la lettre cède le pas à la forme du journal. Pourtant, cette écriture diariste est elle-même décrochée du temps : seule figure, sans autre forme d’ancrage chronologique, la mention de jours de la semaine qui finissent par produire un effet cyclique et lancinant.C’est finalement un portrait brisé d’elle-même que nous livre la parole de la narratrice, un portrait dans lequel les fantômes du passé côtoient constamment les obsessions du présent. Cet effacement des repères, cet éclatement de la temporalité est d’autant plus fort que le recours à la première personne du singulier nous l’impose de l’intérieur. Le lecteur se trouve condamné à suivre pas à pas le récit dans ses déhanchements et ses bifurcations, à faire siens les doutes de la narratrice, ses vertiges, ses interrogations. Le procédé n’est pas nouveau, certes, mais Sabine Huynh y recourt avec conviction et sait nous en rappeler toute la force.On pourrait bien sûr tirer des fils de cet écheveau, réagencer les pièces du puzzle et tenter de reconstruire le parcours «biographique» de la narratrice ou plutôt la série d’éléments qui alimentent et ont alimenté sa dérive. La froideur parentale dont elle a fait elle-même les frais, l’héritage du nom de sa grand-mère, gazée à Chelmno, qui lui a été imposé comme une trace indélébile contre l’oubli, la solitude dans laquelle elle s’est irrémédiablement engluée tant par son incapacité à être comme les autres et avec les autres qu’en raison de l’image monstrueuse de mère non aimante qu’elle a pu donner d’elle-même, le souvenir sans fin d’une histoire d’amour avec un artiste dont elle voudrait garder l’appartement qu’il habitait, et qu’occupe à présent une locataire détestée, à l’image de ce qu’il fut…Et l’on décèlera avant tout, au cœur du mal-être de Magda et de la folie qui la gagne peu à peu, la question emblématique de l’identité.«Tu as le nez de ton père, les yeux de ta mère, le menton de ton grand-père, le front de je ne sais qui encore, mais tu as aussi le nez de ta mère et les yeux de ta grand-mère. Tu n’as donc rien à toi. Toute ta vie durant, tu seras comme moi, en quête de repères dans cette fuite infinie de visages multiples. Combien d’êtres portons-nous en nous, sur nous ? Combien d’entre eux se dressent entre nous et nous ?»Question obsédante dont le personnage adolescent d’une nouvelle cocasse et grinçante de l’écrivain autrichien Hanno Millesi se libérait d’une manière radicale – en se défigurant de manière progressive et systématique…Mais c’est par le nom de la grand-mère déportée que le poids de cette mémoire est pour Magda le plus fortement imposé. Un poids qui inscrit dans le propre corps de la narratrice la mort de l’aïeule et la blessure incicatrisable de la Shoah, la condamnant d’emblée à une impossible réconciliation avec elle-même. Elle semble être ainsi entrée sur la scène de l’existence comme une enfant-témoins, simple flambeau dressé contre l’oubli. La question du poids du passé, de la culpabilité et de la transmission générationnelle des séquelles de l’histoire devient ici tout à fait prégnante. Israélienne d’adoption, traductrice de l’hébreu et familière des textes littéraires en prise avec la question du génocide (1), Sabine Huynh ne pouvait qu’être sensible à cette problématique.On est bien sûr en droit de penser que cette obsession de l’identité transmise est l’un des éléments forts qui a privé Magda de cette « évidente envie » d’avoir un enfant à soi. On devine bien sûr la résurgence d’une peur : celle de transmettre, dans la filiation, une forme de non-identité programmée…Mais La mer et l’enfant n’est pas pour autant un roman à clé. Magda ne cherche jamais à apporter des raisons factuelles à son désamour maternel, à le justifier. Quels que soient les événements qui ont traversé sa vie, il y a toujours une «pièce manquante». L’épaisseur de sa dérive ne se résorbe pas dans un enchaînement de causes et d’effets.Sur bien des faits, le doute demeure sans que l’on puisse foncièrement trancher. Quelle est la part de paranoïa de la narratrice ou la part de malveillance de sa locataire ? Qu’est réellement devenue Estelle ? L’ombre de l’infanticide plane à plus d’une reprise sur le récit de Magda mais peut-être ce meurtre ne fut-il que d’intention, peut-être n’est-il que l’expression symbolique d’un abandon, d’une dérive inaugurée depuis longtemps…«J’avais besoin de fluidité, d’eau. Besoin de savoir, besoin de fuir. Je devais te sacrifier. Je me suis mise à courir droit devant. J’ai hurlé en sentant un liquide glacial toucher ma peau et je me suis jetée aveuglément dedans. J’ai nagé furieusement en frappant la surface glacée de l’eau. Je voulais blesser la mer.»Dans cette lente dissolution, seule l’écriture semble parfois pouvoir offrir un fil auquel se raccrocher. La narratrice interroge fréquemment son besoin de parole, son impérieux désir d’écrire et de raconter. Si certaines formules paraîtront parfois un peu convenues, Sabine Huynh sait aussi souvent transmettre, disséminées dans le récit de sa narratrice, toute l’inquiétude et l’incandescence de l’acte d’écrire. Peut-être est-ce là la seule façon d’advenir un tant soit peu à soi-même, d’échapper à ses démons comme à tout ce qui compose en nous et contre nous, une identité qui ne nous appartient pas.«L’écriture pourrait-elle constituer le seul lien avec soi-même, avec son vrai visage, avec la face cachée de celui-ci ?»Comme chez Duras, écrire revient ici à écrire autour du vide, au bord du vide. Dans La mer et l’enfant, le miracle de la résilience n’aura pas lieu. La parole de Magda ne l’absout pas plus qu’elle ne la sauve, mais elle apporte peut-être à l’effondrement de son existence un frémissement et un écho qui lui appartiennent enfin en propre. Ecrire, c’est blesser la mer avant qu’elle ne nous emporte.*Note(1) On doit notamment à Sabine Huynh la très belle traduction d’une série de poèmes d’enfance que l’écrivain Uri Orlev composa en déportation (Uri Orlev, Poèmes écrits à Bergen-Belsen en 1944 en sa treizième année. Editions de l’Eclat).*Frédéric Fiolof, La marche aux pages
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Sélection finale du Prix Emmanuel-Roblès du premier roman 2014 et du Prix du Festival du Premier Roman de Chambéry 2013.
160 pages
ISBN : 978-2-35176-091-8
PRIX : 14 €
FORMAT : 13,5 x 18,5 cm
Photo : Anne Collongues